Agé de 62 ans, le patriarche de l'Eglise Orthodoxe Russe est le premier à avoir été élu après la disparition de l'URSS, en 1991.
En faisant le choix de Cyrille, métropolite de Smolensk et de Kaliningrad, 62 ans, l'Église orthodoxe russe s'est choisi un nouveau patriarche ouvert sur le monde. 711 personnes ont participé au concile, représentant les 64 pays dans lesquels cette Église compte des fidèles.
Le style est municipal : tablette, rideau, bref, l'isoloir type. Le cadre, lui, est grandiose. Rien de moins que l'immense cathédrale neuve du Christ-Sauveur de Moscou, à deux pas du Kremlin, reconstruite, à l'identique pour l'an 2000, après avoir été rasée par Staline… Élections religieuses, donc, à bulletins secrets et à majorité simple plus une voix, les 711 délégués du «concile local» dont 10 % de femmes, laïques ou moniales, convoqués après la mort d'Alexis II en décembre dernier, ont élu mardi, avec 508 voix contre 169 pour l'autre candidat, son successeur, le métropolite Cyrille de Smolensk et de Kaliningrad, 62 ans, désormais 16e patriarche orthodoxe de Moscou et de toutes les Russies.
Cyrille Ier, son nom désormais, était le favori. Dimanche, il avait été pressenti et élu par l'immense majorité du collège des évêques, avec deux autres challengers, Clément, métropolite de Kalouga et Borovsk, (59 ans), et Philarète, métropolite de Minsk et Sloutsk, (73 ans). Il n'a donc pas eu trop de mal à s'imposer. D'autant que ce dernier s'est désisté dès le début du scrutin au profit du vainqueur.
Rien n'était pourtant joué, car l'homme des évêques, n'était pas, a priori, l'élu de la majorité des délégués prêtres et moines.
Les délégués laïcs, dont le rôle a été salué dans un message du président Dmitri Medvedev lu, mardi matin lors de la séance solennelle d'ouverture - ont pu faire la différence dans ce qui restera comme la première élection d'un patriarche orthodoxe russe depuis la fin du communisme.
Cyrille que tout prépare à cette charge suprême était l'un des proches du défunt patriarche. Il arrive à la première place, mûri par une expérience internationale unique pour un dignitaire orthodoxe russe et un enracinement spirituel dans la plus haute tradition religieuse de ce pays.
Il fut en effet un disciple du métropolite Nicodème, le principal artisan de la lente renaissance de l'Église russe à partir des années 1960. «La tradition ecclésiale était le fondement de la foi et le critère de la vérité» de Nicodème, rappelle son héritier dans un livre, récemment publié au Cerf, L'Évangile et La Liberté.
Autre influence décisive, l'enseignement de théologie reçu de l'archiprêtre Livery Voronov, qui a passé dix ans dans les camps staliniens. C'était «un homme discipliné dans sa pensée et ses paroles ». L'élève Cyrille a retenu la leçon.
Celui à qui certaines tendances de l'orthodoxie reprochaient sa trop grande ouverture à l'Occident n'est donc pas un libéral. Il fustige d'ailleurs cette «pensée libérale laïque» dont il voit l'influence s'étendre : «Nous voyons comment certaines églises protestantes reconnaissent les unions du même sexe, ordonnent aux ministères ecclésiaux des personnes vivant en couple homosexuel et ne condamnent pas l'avortement.» Il est également très prudent sur les adaptations théologiques et l'abandon du slavon, langue liturgique, équivalent de notre latin, peu accessible à la majorité des fidèles. Sur un plan politique, les importantes fonctions qu'il a occupées relativement jeune, ont conduit d'autres à imaginer qu'il était proche du régime. C'est oublier que son grand-père, prêtre, a terminé vagabond pourchassé parce qu'il défendait sa foi chrétienne. Que son père, prêtre également, homme de grande culture - la bibliothèque familiale comptait 3 000 ouvrages dont beaucoup interdits -, a été contraint de quitter Leningrad pour un village de campagne en raison du même combat.
Il est surtout de ceux qui, à l'école de Nicodème, ont appris à naviguer pour défendre les intérêts concrets et la survie de l'Église orthodoxe. Il a d'ailleurs cette phrase : «Les personnes intelligentes ont toujours su distinguer dans les paroles des représentants officiels de notre Église ce qui était commandé par les autorités civiles, et ce qui venait de leur propre cœur et de leur foi. Il est incontestable que des éléments de propagande étaient bien présents dans le discours des officiels orthodoxes russes lorsqu'ils allaient à l'étranger.»
Pour autant, ce même Cyrille, homme de média - il anime une émission de télévision hebdomadaire nationale où il répond en direct aux téléspectateurs et a lancé le site Internet du patriarcat de Moscou -, expliquait encore récemment à propos de la crise financière mondiale : «Ce qui est actuel, ce ne sont pas les affirmations idéologiques de Marx, mais son analyse économique. Pour réussir à dépasser la crise mondiale qui commence, il faut transformer sérieusement le modèle socio-économique actuel pour mettre plus d'accent sur la justice de l'action politique et la rendre profitable à l'ensemble de la société.»
Celui qui a poussé l'Église orthodoxe à formuler un corps de doctrine sociale (publiée en français par le Cerf-Istina en 2007) pour affronter l'ère postcommuniste ajoutait «la conception classique du socialisme est aujourd'hui tout aussi dépassée que le fondamentalisme capitaliste». Sans oublier, une forte insistance sur le «principe de non-ingérence réciproque» entre l'Église et l'État, qu'il a rappelé, mardi soir, avant d'être élu.
Cyrille est donc un chrétien convaincu. Il a désiré être prêtre dès l'enfance. Sa devise «Annoncez de jour en jour le salut de notre Dieu» est le but de sa vie. Mais son intelligence et son goût pour «ne pas suivre la mode idéologique» lui ont souvent attiré des suspicions.
Ainsi, en 1984, où ses prises de positions contre la guerre soviétique en Afghanistan - signe d'une indépendance manifeste -, lui ont tout bonnement valu d'être destitué, à seulement 38 ans, de sa première haute responsabilité. Depuis dix ans il était le recteur du séminaire et de l'académie de théologie de Leningrad, sa ville natale, aujourd'hui Saint-Pétersbourg, où il s'était fait remarquer par son souci de traduire des théologiens catholiques et où il avait attiré un nombre croissant d'étudiants.
Cinq ans plus tard, en pleine perestroïka, il est nommé au poste clé de ministre des Affaires étrangères du patriarcat de Moscou, «président du département des relations extérieures», charge qu'il mènera d'une main de maître et sur tous les continents.
Ce qui l'amènera à rencontrer un certain Joseph Ratzinger, à cinq reprises - dont trois fois depuis que Benoît XVI a été élu pape en 2005 ! Ces deux amateurs de musique classique - l'Allemand aime Mozart, le Russe, rédige en écoutant du Bach - pourraient écrire une partition inédite.
De notre envoyé spécial à Moscou, Jean-Marie Guénois (Le Figaro, France)
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